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  Prothèses duchampiennes

  [ Herman Parret ] *

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> Prothèses duchampiennes

> L’érotisme de précision de la machine

> Fragments de chair essentiels

> Indices fautifs et prothèse agonistique

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"Homo Orthopedicus", Colloque International d’Anvers, 7-11 décembre 1999. Ce texte sera publié dans les Actes du Colloque (2000, à paraître).

L’érotisme de précision de la machine
Fragments de chair essentiels
Indices fautifs et prothèse agonistique

 

Que Marcel Duchamp soit l’iconoclaste et le fourvoyeur des valeurs modernistes, qu’il soit l’éclaireur de l’art contemporain, personne n’en doute. La pratique du readymade a problématisé la notion même d’oeuvre d’art tout comme la fonction d’artiste, et on ne s’est pas encore remis de ce dur coup subversif qui a mis un point à tant de certitudes modernistes. Sous un angle plus constructif, Duchamp est glorifié comme le fondateur de l’art conceptuel, et c’est le readymade qui ferait de l’art une apologie du concept. Urinoir, goutte-bouteilles, porte-manteaux, pelle, roue de bicyclette, tant de concepts-objets dont notre imaginaire fin de millénaire ne pourra plus jamais se défaire. Toutefois, l’arsenal duchampien est rempli avant tout de concepts-corps, et c’est le corps que Duchamp conceptualise dès 1909, l’année où il peint en impressioniste et avec tendresse le portrait de sa soeur Yvonne, deux ans plus tard en cubiste analysant le mouvement du corps de la femme nue qui descend l’escalier, pour laisser définitivement derrière lui la peinture vers 1914 - geste théorético-pratique radicalement subversif -, pour s’immerger pendant les années newyorkaises dans l’iconologie de la co-corporéité des célibataires et de la mariée du Grand Verre, et pour culminer, après avoir vécu sans voix d’artiste pendant plusieurs décennies, dans l’hypostase énigmatique d’un concept radical de corps-corps, ce corps de femme aux membres amputés, dont la masse de chair se construit autour d’une vulve rasée et abyssale: Etant donné, 1? La chute d’eau 2? Le gaz d’éclairage. Le corps selon Duchamp ne se laisse prédiquer d’aucune catégorie esthétique - le corps n’est ni beau, ni sublime, ni gracieux, ni dégoûtant non plus -, aucune intériorité ne s’y manifeste, aucune phénoménologie n’y découvrira jamais quelque signifiance. Il s’agit en fait du corps essentiel, le corps marqué par le sexe et la mort, par eros et thanatos, et par rien d’autre. Quand Cabanne questionne Duchamp sur le rôle de l’érotisme dans son oeuvre, il répond: "Enorme. Visible ou sous-jacent, partout", et Duchamp énonce à Jouffroy que le sexe est la seule chose qu’il prend vraiment au sérieux. Les jeux de mots et cette masse fourmillante de notes, fabuleuses à foison, à peine interprétables, de la Boîte verte de 1934, de la Boîte blanche de 1966, ajoutent une certaine distanciation à l’égard de ce sérieux essentiel, par leur ton d’humour, d’ironie, d’allégresse même. Il est vrai d’ailleurs que pour Duchamp le sexe et la mort n’ont rien de tragique, au contraire - "Eros, c’est la vie", et en matière de sexe et de mort, nous renseigne le doux sourire de Marcel, "il n’y a pas de solution puisqu’il n’y a pas de problème". Et pourtant, l’iconologie duchampienne des corps n’est pas charmante du tout: c’est des corps androgynes - Rrose Sélavy -, corps mécaniques, tout en tuyaux et en trompes, corps fragmentarisés, corps impuissants de sexe et de mort, corps qui s’écoulent en difformité, corps prothétisés. C’est bien de ce corps-là, dont Duchamp nous livre le concept, de ce corps essentiel, que je me permettrai d’évoquer la figuration.


1- The Complete Works of Marcel Duchamp de Arturo Schwartz (New York: Delano Greenidge Editions, 1997, Third Revised and Expanded Edition) est un outil de travail indispensable bien que le texte de Schwartz qui sert d’introduction au catalogue raisonné, est souvent assez spéculatif. A part les classiques sur Duchamp (Robert Lebel, Thierry de Duve, Jean Suquet, Francis Naumann et Jean Clair, entre autres), le Marcel Duchamp de Daw Ades, Neil Cox et David Hopkins (Londres: Thames and Hudson, 1999) est une excellente introduction à Duchamp.

2 - Dalia Judovitz, dans Unpacking Duchamp: Art in Transit, Berkeley/Los Angeles/London: University of California Press, 1995) expose en profondeur les motifs et les effets de cette décision radicale de Duchamp de ne plus peindre et elle n’hésite pas d’en donner une explication psychanalytique. Le livre de Judovitz, dans la masse de littérature secondaire sur Duchamp depuis dix ans, se distingue par son point de vue original et globalisant.